Port obligatoire du masque : En attendant les commandes de l’État

Pour accompagner la mesure rendant son port obligatoire, l'État ivoirien s’apprête à acquérir près de 200 millions de masques. (Joséphine Kouadio)
Pour accompagner la mesure rendant son port obligatoire, l'État ivoirien s’apprête à acquérir près de 200 millions de masques. (Joséphine Kouadio)
Pour accompagner la mesure rendant son port obligatoire, l'État ivoirien s’apprête à acquérir près de 200 millions de masques. (Joséphine Kouadio)

Port obligatoire du masque : En attendant les commandes de l’État

Le 16/04/20 à 22:20
modifié 16/04/20 à 22:20
Vendredi 10 avril. 9h. Quai d’embarquement d’une entreprise privée de transport lagunaire à Abidjan, dans le quartier de Locodjoro. Le processus d’embarquement d’une file de passagers, candidats à la traversée, est subitement interrompu. Une altercation à la pointe du rang semble être la cause de cet arrêt. On peut entendre de vifs échanges entre certains passagers et les agents chargés du contrôle à la montée du bateau. Une affaire de personnes ne disposant pas de cache-nez, apprend-on.

L’embarquement s’effectue malgré tout. Mais, contre toute attente, le bateau se refuse à quitter le quai. Des agents de la compagnie se présentent à bord, dévisagent la cinquantaine de passagers, et exigent que ceux qui ne disposent pas de cache-nez quittent l’embarcation.

«C’est quoi ces nouvelles règles», interroge un homme d’âge mûr. Qui, bien que coiffé d’un masque, semble visiblement agacé par cette situation. Mais les agents se montrent intransigeants. «Ce sont les nouvelles dispositions, ça vient de la hiérarchie. Pas plus de 50 passagers à bord, et depuis ce matin (10 avril), pas d’accès au bateau sans masque», explique l'agent.

Le bateau quittera finalement le quai, et personne ne sera débarqué. Les agents de la compagnie s’étant finalement résolus à la flexibilité pour ce premier jour d’application de la mesure. Cependant, la scène a suscité divers commentaires et nourri les conversations durant une bonne partie de la traversée de la lagune Ébrié. Certains estimaient qu’il est du devoir de la compagnie de mettre à disposition des masques pour les clients, une partie s’accordait sur le fait que la mise en application de cette recommandation relevait de la responsabilité de chacun.

Pour un troisième groupe, dans ce contexte de crise sanitaire, c’est bien à l’État qu’il revient de distribuer à titre gratuit ces accessoires de protection. Quoi qu’il en soit, comme un signe prémonitoire, la décision de rendre le masque obligatoire en Côte d’Ivoire, rendue publique la veille (9 avril), se heurtait déjà à des oppositions.

La mesure foulée aux pieds

Une dizaine de jours après son entrée en vigueur, force est de constater que cette mesure est foulée aux pieds par une grande partie des Abidjanais. Comme s’ils défiaient le coronavirus, on peut les apercevoir déambuler dans les différentes communes du district sans cache-nez. D’Adjamé à Yopougon en passant par Abobo, l’urgence de cette mesure semble complètement échapper aux uns et aux autres.

Dans les quartiers, des regroupements de personnes ont lieu pour meubler le temps en cette période de confinement. Les élèves, privés de cours depuis de longues semaines, et gagnés par l’ennui, n’hésitent pas à se rassembler pour jouer au football.

Quand d’autres, constitués en « grin », s’adonnent à des jeux tels que le «ludo», ainsi qu’à des causeries amicales. Cela, sans masque et dans le plus grand mépris de la consigne de distanciation sociale. Dans ces quartiers, tout se passe comme si la menace du Covid-19 ne valait qu’en ville.

Quartiers populaires et zones défavorisées

Si la violation du port du cache-nez est un phénomène généralisé à Abidjan, elle prend cependant des proportions inquiétantes dans les quartiers populaires, et auprès des populations défavorisées. Où les personnes rencontrées expliquent avoir du mal à joindre les deux bouts. « J’ai acheté dix cache-nez dès l’apparition des premiers cas confirmés du coronavirus en Côte d’Ivoire», explique Ismaël Diaby.

Le sexagénaire, sans emploi et chef de famille rencontré dans la commune d’Abobo, soutient avoir fait cet effort pour protéger ses épouses ainsi que ses enfants, conformément aux recommandations sanitaires. Cependant, le vieil homme déchantera bien vite quand il apprendra qu’il faut régulièrement remplacer ces accessoires.

«On nous a dit qu’il faut les remplacer toutes les deux ou trois heures, je n’ai pas les moyens de le faire», laisse-t-il entendre. Avant de conclure: «J’arrive à peine à nourrir tout ce monde qui dépend de moi. Il faut que l’État procède à la distribution de ces masques».

En attendant, de nombreux Ivoiriens n'ont pas changé grand chose à leur mode de vie en société. (Joséphine Kouadio)
En attendant, de nombreux Ivoiriens n'ont pas changé grand chose à leur mode de vie en société. (Joséphine Kouadio)



Même son de cloche pour Zacharia Koné, chauffeur de taxi communal à Abobo, que nous avons rencontré dans le quartier ’’Derrière rail’’. «Ça ne marche pas dans le secteur du transport. Avec la réduction du nombre de passagers, c’est très difficile de faire le plein de carburant, à plus forte raison avoir la recette quotidienne. Vous comprenez que dans de telles conditions, les masques ne sauraient constituer une priorité», explique-t-il.

Olga Koné, apprentie couturière, dénonce pour sa part la gêne que procure le port du masque. «Ça étouffe. C’est difficile de le porter pendant longtemps. C’est pour cela que nous ne le portons pas, sinon nous en disposons», assure-t-elle.

Sa patronne qui assiste aux échanges dans le petit container qui sert d’atelier, et dans lequel s’empilent une dizaine de personnes sans protection aucune, renchérit. Elle soutient qu’il est du rôle de l’État de procéder à un partage des masques à tout le monde en mettant l’accent sur les zones populaires et les populations défavorisées.

«A Abobo par exemple, nous sommes nombreux et vivons pour la plupart dans des cours communes. Il est impossible de respecter les consignes de distanciation sociale dans de telles conditions de vie. C’est ici que nous avons besoin des masques de l’État et non dans les zones huppées», soutient-elle.

Une commande globale de près de 200 millions de masques, à terme

Le communiqué instituant obligation du port de masques diffusé le 9 avril comportait la mention : « En veillant à leur disponibilité et leur gratuité, à commencer par le personnel de santé et les Forces de Défense et de Sécurité ». Cette expression démontre, si besoin était, l’engagement du gouvernement à rendre ces accessoire gratuits et disponibles partout et pour tous.

La Côte d’Ivoire devant composer, à l’instar de nombreux pays, avec la pénurie mondiale actuelle qui frappe les matériels de protection sanitaires. Le Premier ministre, chef du gouvernement Amadou Gon Coulibaly a réitéré cette volonté lors d’une tournée qu’il a effectuée le 15 avril dans des structures intervenant dans le plan de riposte sanitaire contre le coronavirus. Il a indiqué que 30 millions de masques seront livrés à l’État ivoirien d’ici quelques jours.

Il s’agit, selon lui, de la première vague de livraison d’une commande de 138 millions de masques commandés. Mais mieux, a-t-il poursuivi, la commande globale envisagée par le gouvernement tourne autour de 200 millions de masques. «Sur la base des estimations des besoins des Forces de Défenses et de Sécurité (Fds), de ceux du personnel de santé et en prenant en compte la population, cette commande globale permettra à la Côte d’Ivoire de tenir jusqu’à 4 mois», a-t-il assuré.

Par ailleurs, le gouvernement encourage les initiatives visant la fabrication de cache-nez au plan local. Dans ce cadre, des initiatives sont prises en direction des industries du textile et de l’emballage pour promouvoir une production locale de masques à moindre coût.

Souleymane Diarrassouba, le ministre en charge de l’Industrie estimait, dans une interview dans nos colonnes, la capacité locale de production de masques en Côte d’Ivoire à plus de 8 millions d’unités par mois. En attendant, la contribution de la population auprès du gouvernement pourrait être tout simplement le respect strict des gestes barrières ainsi que le port du masque. Il y va de notre santé à tous.



Le 16/04/20 à 22:20
modifié 16/04/20 à 22:20