Edem, l’intellectuel et le politique

Edem Kodjo, intellectuel et homme politique togolais. (DR)
Edem Kodjo, intellectuel et homme politique togolais. (DR)
Edem Kodjo, intellectuel et homme politique togolais. (DR)

Edem, l’intellectuel et le politique

Le 14/04/20 à 09:59
modifié 14/04/20 à 09:59
Le fervent chrétien qu’il était s’appelait Édouard à sa naissance, le 23 mai 1938 à Sokodé. Mais il mourut à Paris, sous le prénom d’Édem, le 11 avril 2020, à la veille de l’anniversaire de la résurrection du Christ. Parce qu’en 1975, il avait plu à Gnassingbé Éyadéma, le Président de son pays, le Togo, de bannir tous les prénoms chrétiens et occidentaux, pour faire comme son idole Mobutu Sésé Séko, le Président du pays que l’on appelait le Zaïre et qui est aujourd’hui la République démocratique du Congo.

Que dire d’Edem Kodjo qui vient de nous quitter ? J’ai eu l’honneur et la chance d’approcher l’homme et de lui consacrer un livre, « Edem Kodjo, un homme un destin » (Éditions NEI-CEDA-Présence Africaine), qui me valut d’obtenir le « Grand prix littéraire d’Afrique noire » en 2012. Si l’on pouvait résumer l’homme en quelques mots, je dirais qu’il fut un brillant intellectuel africain, un panafricaniste convaincu, un homme politique togolais qui rêva de diriger son pays, mais n’y parvint pas.

Brillant élève dans son Togo natal, Edem Kodjo obtint une bourse pour aller poursuivre ses études en France en 1957. Après des études de droit et sciences économiques, il entra à l’École Nationale d’Administration (ENA) française et commença sa carrière professionnelle en tant qu’administrateur de l’ORTF, l’ancêtre de Radio France. Il revient en 1967 dans son pays que dirige alors Gnassingbé Eyadema, et occupe dans un premier temps le poste de secrétaire général du ministère de l’Economie et des Finances.

Plus tard il sera secrétaire général du nouveau parti unique, le Rassemblement du peuple togolais (RPT), ministre de l’Economie et des Finances, ministre des Affaires étrangères, puis secrétaire général de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). Á ce poste, il sera l’initiateur de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, du Plan d’action de Lagos, et surtout de l’admission du Sahara Occidental au sein de l’OUA.

Cette dernière décision qui sera contestée par les États africains amis du Maroc, lui vaudra de ne pas voir son mandat de secrétaire général de l’OUA renouvelé.

Lorsque le vent de la démocratie souffle sur le continent, Edem Kodjo fonde son parti politique au Togo et devient l’un des adversaires les plus farouches de Gnassingbé Eyadema. Il ne réussira cependant jamais à accéder au poste de président du Togo. Mais par contre il deviendra Premier ministre d’Eyadema, parce que ses sept députés avaient permis à ce dernier d’obtenir la majorité à l’Assemblée nationale, au détriment de l’opposition. De nombreux Togolais ne lui pardonneront jamais ce fait. A la mort d’Eyadema, en 2005, lorsque son fils Faure lui succède à la tête du pays dans des conditions plutôt troubles, Edem Kodjo accepte à nouveau d’être son Premier ministre.

Après avoir quitté la Primature, Edem Kodjo a créé une fondation, « Pax Africana », et joué le rôle de médiateur dans plusieurs crises africaines. Il était aussi passionné de sport, surtout de cyclisme, et il fut le secrétaire général du Comité national Olympique du Togo. L’art aussi occupait une grande place dans sa vie, tout comme la littérature. Il fut l’auteur d’un roman, « au commencement était le glaive », qui, selon ses propres mots, était « un peu la synthèse de toutes les crises que l’on connaît sur le continent africain ».

Les principaux ouvrages écrits par Edem kodjo sont « Et demain l’Afrique » qui obtint le Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1985, « l’Occident, du déclin au défi », « au commencement était le glaive » et « lettre ouverte à l’Afrique cinquantenaire ».

Terminons avec quelques opinions émises par un certain nombre de personnalités sur Edem Kodjo dans le livre que je lui ai consacré. Henri Lopes, écrivain, ancien Premier ministre du Congo, ancien ambassadeur du Congo en France : « C’est quelqu’un qui a, de notre continent, une vision ouverte et tournée vers le futur. Il a continué à être fidèle à cette idée d’une unité africaine, qui n’est pas une idée perdue. Elle s’est simplement approfondie et a tenu compte des réalités, et je crois qu’Edem Kodjo est l’un des penseurs et des hommes d’action d’une génération qui a joué un rôle dans les constructions nationales.

En politique, c’est moins la carrière que le parcours qui compte. Il a eu un parcours dont le soubassement fut l’honnêteté, et la foi en un certain nombre de principes. » Charles Konan Banny, ancien gouverneur de la BCEAO, ancien Premier ministre de la Côte d’Ivoire : « Il a été un brillant ministre des Finances. »

A l’OUA, il a fait des combats difficiles. Tout s’est bien passé jusqu’à ce fameux problème du Sahara occidental où Kodjo, sans doute conformément à ses opinions d’intellectuel africain progressiste, a milité pour l’indépendance du Sahara.

A l’époque, ce n’était pas l’avis d’un certain nombre de Chefs d’État importants qui jouaient un rôle dans le concert des nations africaines. Il y avait parmi eux Houphouët-Boigny qui, au départ, était l’un des plus sûrs soutiens d’Edem Kodjo. » Joseph Kokou Koffigoh, ancien Premier ministre du Togo : « Edem Kodjo me fait penser à l’Albatros de Baudelaire. Il a de grandes ailes, il vole très haut, il voit ce que les autres ne voient pas, mais au sol sa noblesse n’apparaît plus et les gens se gaussent de lui. L’Albatros est fait pour voler haut. C’est comme cela que je vois mon frère Kodjo. » Émile Derlain Zinsou, ancien président du Bénin : « Ce n’était pas donné d’être le secrétaire général d’une organisation de Chefs d’État nègres parce qu’ils font tout et son contraire en même temps. »


Le 14/04/20 à 09:59
modifié 14/04/20 à 09:59