Dr Kroa éhoulé, responsable de la médecine traditionnelle: « D’ici la fin du mois, les travaux pourront nous conduire à trouver des médicaments"

Dr Kroa - Pdt des tradi-praticiens (Bosson) (1)
Dr Kroa - Pdt des tradi-praticiens (Bosson) (1)
Dr Kroa - Pdt des tradi-praticiens (Bosson) (1)

Dr Kroa éhoulé, responsable de la médecine traditionnelle: « D’ici la fin du mois, les travaux pourront nous conduire à trouver des médicaments"

Comment avez-vous apprécié la décision du gouvernement d’associer les praticiens de la médecine traditionnelle à la lutte contre le Covid-19 ?

C’est l’occasion de dire un grand merci, au nom de tous les praticiens de médecine traditionnelle, les spiritualistes, les non-spiritualistes, les phytothérapeutes, les djinantigui, les sonnan, les accoucheuses traditionnelles, les komian..., au Président de la République de Côte d’Ivoire. A ces remerciements, nous associons le ministre de la Santé et de l’Hygiène publique pour cet appel. Ces praticiens de la médecine traditionnelle attendaient cela, et saluent la main tendue des autorités à sa juste valeur. Après la loi de 2015 et le code d’éthique et de la déontologie en 2017, c’est la première fois qu’ils sont interpellés à un haut niveau.

Comment vous organisez-vous pour jouer votre partition dans cette lutte ?

A la suite de l’appel du 23 mars du Président de la République, nous avons eu une réunion avec les présidents d’associations de médecine traditionnelle pour réfléchir ensemble au contenu de cet appel. Nous avons d’abord laissé des consignes fermes pour que ces tradipraticiens respectent déjà les mesures barrières édictées par le gouvernement. Nous avons profité de cette occasion pour les sensibiliser aux mesures de protection pour qu’à leur tour, ils puissent faire le relais à leurs membres. Le 27 mars, le ministre de la Santé, à travers son directeur de cabinet, Joseph Ackah, les a reçus à l’Institut national de santé publique où le directeur de cabinet a donné quelques orientations quant à notre contribution dans la lutte contre le Covid-19.

Quelles sont ces orientations ?

Deux axes ont été proposés. Le premier concerne la formation et la sensibilisation des tradipraticiens quant aux mesures de prévention et une session d’explication de cette maladie. On les a situés sur la gravité de la maladie, ses symptômes. En tant que personnes de notoriété, ils devraient pouvoir relayer l’information dans leurs communautés (port de masque, distanciation d’au moins un mètre entre les personnes et appeler le numéro vert en cas de complication). Nous avons à cette occasion fait une formation avec le Pr. Issiaka Timbré de l’Institut national de l’hygiène publique. Ils reçoivent en moyenne, chacun, 2000 patients par an. Nous avons dans notre base de données 6500 praticiens de la médecine traditionnelle.

Le deuxième axe est que le ministre de la Santé, croyant au savoir-faire des praticiens de la médecine traditionnelle, a souhaité qu’ils apportent une contribution en proposant des recettes qui pourraient guérir les malades du covid-19.

Donc, ils ont également pris l’engagement de proposer des recettes. Et depuis le 27 mars, nous recevons beaucoup de recettes.

Et quelles sont les recettes proposées ?

Il y a trois types de recettes proposées par des praticiens de la médecine traditionnelle. Le premier groupe de médicaments provient de la consultation des mânes, par des songes, par des hommes de Dieu... Le deuxième groupe de médicaments est réservé au traitement de l’appareil respiratoire et d’autres produits pour les pathologies virales.

La troisième catégorie de médicaments n’existe pas pratiquement, puisque ces médicaments devraient provenir des instituts de recherche. En Côte d’Ivoire, il n’existe pas d’institut de recherche dédié à la médecine traditionnelle.

Pour le premier groupe, il n’y a pas de test basique. Le deuxième groupe de médicaments est soumis à des tests.

A la suite de la rencontre avec le directeur de cabinet du ministère de la Santé, le Pr. Armand Koffi des sciences pharmaceutiques et biologiques a été instruit pour faire le contrôle, ou l’analyse des médicaments proposés, afin que nous puissions les administrer à la population. Il s’agit également de standardiser les recettes et propositions des praticiens de la médecine traditionnelle.

Les premiers lots de recettes ont été remis au Pr. Armand Koffi. Nous saluons la collaboration des praticiens de médecine traditionnelle. Ils respectent tous les critères de sélection.

Combien de temps faut-il pour avoir un médicament contre le coronavirus ?

D’ici la semaine prochaine, nous allons faire des propositions dans ce sens. On prend du temps pour analyser les recettes proposées. Sur l’ensemble du territoire, il n’y a qu’une dizaine d’unités de production. Si on produit un premier lot, il faudrait pouvoir le reproduire à grande échelle. D’ici la fin du mois, les travaux pourront nous conduire à cela, à trouver des médicaments parce qu’il y a urgence. Certaines étapes seront abandonnées. Car le processus de fabrication du médecin indigène est long. Il y a un comité d’éthique qui supervise les travaux en accord avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

Vous parliez des spiritualistes qui ont proposé également des recettes qui n’ont pas besoin de tests basiques, comment vous assurez-vous de l’efficacité de ces recettes « spirituelles » ?

80% de la population utilisent ces recettes traditionnelles. Les épidémies ont toujours existé.

Quelles étaient les pratiques dans nos villages ?

Lorsqu’un malheur arrive dans un village, il y a des personnes qui sont chargées de veiller à la santé de la communauté et pour conjurer le mauvais sort. On vous dira, par exemple, qu’il faut prendre des bassines d’eau, y mettre du poivre et les déposer à l’entrée du village, où tout le monde viendra se laver avec cette eau préparée avec des plantes comme l’hysope, le basilic... C’est un peu notre gel hydro-alcoolique. Dans le cadre de cette pandémie, on a adopté le même système de prévention. Mais tout le monde ne croit pas en ces pratiques. Le champ thérapeutique est large. Vous avez la médecine prophétique, la médecine religieuse, la médecine traditionnelle africaine pure, etc. On est obligé d’en tenir compte. On a une foi qui nous dit ce qu’il faut faire. Ce sont des savoirs traditionnels qu’il faut protéger.D’après les praticiens, si Dieu a créé cette situation, il peut donner une réponse.

La deuxième catégorie de médicaments, ce sont ceux qui sont utilisés habituellement. Soit on propose une prise en charge des symptômes, ou une prise en charge virale.

On a vu les Ivoiriens se ruer sur les feuilles de neem qui seraient la potion magique contre la pandémie. Qu’en-est-il exactement ?

Il y a toute une confusion autour des feuilles de neem. Ce sont des plantes importées de l’Inde, on connaît les vertus. Le neem peut agir sur le système immunitaire, sur le diabète, l’hypertension artérielle, d’autres infections chroniques, etc.

Son utilisation obéit tout de même à des critères, en termes de quantité par exemple. Vous pouvez voir que c’est contre-indiqué chez la femme enceinte. C’est dommage qu’on déshabille les arbres, qu’on crée un rapport avec la chloroquine qui est une molécule de synthèse, issue des plantes également. Il faut éviter l’automédication. La mauvaise utilisation d’un médicament peut être toxique pour l’organisme.

Comment trouver le meilleur tradipraticien et où classer ces crieurs dans les cars, les bateaux-bus... ?

Il y a beaucoup de marabouts. Demandez-leur leur carte de recensement. Ceux qui sont recensés et qui sont suivis connaissent et respectent les principes de base de la phytothérapie, ils maîtrisent les recettes. On a fait des études, il existe des textes basés sur leurs recettes. Jusque-là, nous n’avons pas encore eu de cas malheureux. Ces vendeurs dans les cars ne sont pas des tradipraticiens ; ce sont des démarcheurs. C’est pourquoi, nous avons demandé aux transporteurs de ne pas autoriser ces démarcheurs à bord de leurs véhicules. Nous avons entrepris des démarches dans certains ministères. Nous avons écrit au ministre en charge de la Santé, à des responsables des gares routières, à la Sotra... pour que cela s’arrête. Malheureusement, on n’est pas discipliné. Face à la maladie du covid-19, vous avez vu que beaucoup d’indiscipline sont à la base de la propagation de la pandémie. Il faut que les gens soient disciplinés. S’ils ont besoin d’un produit, qu’ils s’adressent à un spécialiste. Nous avons fait la cartographie. Si vous êtes au nord et que vous avez besoin d’un médicament, nous pouvons vous en procurer en vous mettant en contact avec un spécialiste. On essaie de faire comprendre à la population de ne pas s’orienter vers l’automédication. Sans l’avis d’un expert dans le domaine, vous êtes sûr de faire de l’automédication. Et les conséquences, nous ne pouvons pas les mesurer.

Nous sommes face à une urgence car la maladie évolue à une vitesse exponentielle et les tests sont encore au labo...

Dans le cadre de la collaboration médecine traditionnelle - médecine moderne, il faut un passeport du médicament, une carte d’identité du médicament. La majeure partie de nos médicaments ne sont pas à ce niveau. Il faut souligner que plus de 700 médicaments sont homologués dans certains pays de la sous-région. Alors que chez nous en Côte d’Ivoire, on a moins de 10 médicaments homologués.Si vous prenez 500 médicaments vendus sur l’ensemble du territoire, nous étions à 5 à 3 % de médicaments testés. Compte tenu de la longue utilisation, nous avons sensibilisé les praticiens à faire les tests.

Face à la pandémie, il y a des limites dans beaucoup de pays. Et nous, nous n’avons pas d’institut de recherche en médecine traditionnelle pour pouvoir aider à la production de médicaments améliorés pour aider la médecine moderne. Ce passeport, nous ne l’avons pas. Et c’est ce que nous sommes en train de demander aux universitaires.

Á quoi va servir cet institut qui vous tient tant à cœur ?

On a déjà un terrain de 30 hectares à Agou. On a déjà la maquette mais notre grande difficulté, c’est le manque de financement pour la construction de cet institut. Les gens cherchent des plantes médicinales qui ont une activité immuno-stimulante pour stimuler le système. On a des praticiens qui ont déjà traité des pathologies virales que l’on recommande aux populations qui viennent nous voir, en attendant que les recettes soient testées ou analysées. On ne dit pas qu’on soigne, qu’on guérit. Mais déjà ceux qui ont des symptômes, on leur propose une association de plantes immuno-stimulantes ou des plantes anti-infectueuses et une bonne alimentation.

Moins de 10 % de médicaments homologués sur le marché, on est donc en danger ?

Non, on n’est pas en danger. Ce sont des médicaments qui sont utilisés depuis. Mais ce qu’on doit faire, puisque nous connaissons l’efficacité de ces médicaments, c’est d’encourager aux bonnes pratiques des règles de production. Ces médicaments ne sont pas produits en laboratoire, dans une unité de production, nous les encourageons à faire cela.Avez-vous bon espoir qu’on sortira de cette crise ?Oui, d’abord au-delà de quelques cas d’indiscipline, les populations ont pris conscience que la maladie tue. L’intérêt de se prémunir avant de sortir a commencé à faire partie de leurs habitudes. Les tradipraticiens reçoivent beaucoup d’appels et proposent des produits pour stimuler le système immunitaire et contre les pathologies respiratoires. Au-delà de cela, les praticiens poursuivent la sensibilisation aux mesures barrières auprès de leurs patients...

Il faut qu’après le covid-19, on puisse construire très rapidement un centre de recherche dédié à la médecine traditionnelle. On a mis en place un réseau de chercheurs comme ressources humaines pouvant travailler dans cet institut qui abritera une unité de production de médicaments à base de plantes. Il faut que les médecins collaborent effectivement avec les tradipraticiens pour évaluer les données cliniques. Le médecin doit s’engager à travailler avec les tradipraticiens même s’il n’y a pas de spécialités en médecine traditionnelle à l’université

Interview réalisée par

GERMAINE BONI

Coll : Isabelle somian