Coronavirus/Impact en zone Uemoa : Finances publiques tendues, reprise économique difficile, selon Bloomfield Investment

Coronavirus/Impact en zone Uemoa : Finances publiques tendues, reprise économique difficile, selon Bloomfield Investment

Le 04/04/20 à 19:35
modifié 04/04/20 à 19:35
Pour l’agence de notation basée à Abidjan, le PIB de la zone devrait décélérer en dessous de 4% si la crise est contenue sur le premier trimestre. Le plus dur n’est-il pas à venir ? S’interroge l’agence dans une étude rendue publique samedi.

L’analyse commence par un constat : tous les Etats membres de la zone Uemoa sont touchés par la pandémie à Coronavirus Covid-19 avec le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire enregistrant les plus grands nombres de contaminations (222 cas pour le Burkina Faso et 165 cas pour la Côte d’Ivoire au 29 mars 2020). S’ensuit une évidence : la pandémie qui touche tous les continents aura un impact direct sur les économies de la zone Uemoa. Pour Bloomfield Intelligence, entité de l’agence de notation Bloomfield Investment, cet impact direct sur l’économie se fera dans la Zone Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine regroupant huit pays), essentiellement par quatre canaux : le commerce international ; les transferts des migrants, l’activité économique nationale ; et les finances publiques.

Pour l’agence de notation, une baisse de la demande des produits d’exportations est en vue. Les principaux pays de la zone, c’est connu, exportent principalement les matières premières. Ces dernières années, il a été observé une tendance relativement à la hausse de ces différentes exportations en relation, soit avec la bonne performance de la production, soit avec l’amélioration des prix à l’international, rappelle l’étude. En 2017, les cinq principaux produits d’exportations de la zone sont : l’or, le cacao, le pétrole, la noix de cajou et le coton. Ils représentent 64,72% des exportations totales de biens. La répartition géographique des exportations officielles de l'Union montre que celles-ci sont destinées principalement à l'Europe (44,1%), suivie de l'Afrique (21,6%), de l'Asie (20,5%) et de l'Amérique (7,9%), soutient l’agence.

Pour les auteurs de l’étude, « il est évident que la baisse de l’activité économique mondiale va entraîner une baisse de la demande de ces produits d’exportation, occasionnant ainsi une baisse des recettes d’exportations pour les pays de la zone Uemoa ». Pour le premier trimestre, disent ces économistes, la plupart de ces produits ont suivi une tendance à la baisse de leur valeur par rapport à l’entame de l’année 2020.

Cette situation devrait s’étendre d’après les premières estimations sur tout le premier semestre 2020 ». Les pays ne seront toutefois pas touchés de la même manière. « L’or, malgré sa qualité d’actif en période de crise a enregistré une très forte volatilité de son prix sur le premier trimestre en raison des nombreuses incertitudes soulevées par le COVID 19. Toutefois, les mesures vigoureuses prises par les banques centrales au niveau international pourraient soutenir le cours dans les mois à venir. Cette situation aurait pu être à la faveur des pays exportateurs, cependant la perturbation du transport aérien et l’arrêt de l’activité de certaines raffineries devraient limiter les exportations d’or ». Le Burkina Faso et le Mali sont les plus exposés avec des exportations d’or représentant, respectivement 68% et 69,7% des exportations totales de biens en 2018, analysent les économistes de Bloomfield Intelligence. Qu’en est-il du cacao ? « Bien que les cours du cacao ont été en hausse sur les deux premiers mois de 2020, les anticipations sur une augmentation de la production en raison d’une bonne pluviométrie et sur la baisse de la demande en raison de la propagation du Covid 19 ont contribué à un repli des cours au mois de mars. Cette situation pourrait perdurer et avoir une incidence sur les exportations de la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, et dont les produits du cacao représentent 38,6% de ses exportations totales de biens en 2018 ».

S’agissant des cours du pétrole, ceux-ci connaissent des baisses assez importantes, ayant perdu plus de 60% de leur valeur sur le premier trimestre. Cette chute résulte du déséquilibre sur le marché entre offre abondante et baisse de la demande mondiale. L’analyse de Bloomfield : « Même si les pays producteurs arrivaient à s’entendre sur un quota de production, le ralentissement de l’économie mondiale et l’importance des stocks imiteraient la hausse des cours par rapport à leur niveau de l’année dernière. La Côte d’Ivoire, le Niger et le Sénégal sont les principaux pays de la zone dont les exportations seraient exposées ».

La situation de la noix de cajou intéresse particulièrement la Côte d’Ivoire et la Guinée Bissau. La Côte d’Ivoire est en effet le premier producteur mondial de cette spéculation qui est également son deuxième produit d’exportation (8,90%) derrière le cacao. Les exportations de noix de cajou représentent 99% des exportations totales de biens de la Guinée-Bissau en 2018, rendant le pays fortement vulnérable. Sur les deux premiers mois de l’année, souligne l’étude, le cours de la noix de cajou s’est contracté. Les projections du cours de la noix de cajou s’avèrent plus délicates pour les mois à venir. En effet, l’approvisionnement des populations en denrées alimentaires, particulièrement des produits de longue conservation, dans un contexte de baisse du transport pourrait avoir une incidence positive sur le prix de la noix de cajou, mais pas nécessairement dans les pays d’origine. Les mesures de confinement prises en Inde impacteront nécessairement les industriels du secteur, ce qui occasionnera une baisse de la demande en noix de cajou brut et partant des prix.

Une reprise de l’activité économique pour les prochains mois qui s’annonce difficile.

Le ralentissement dans l’exécution des chantiers structurants, le ralentissement de l’activité économique, les effets indirects de la contraction de l’économie mondiale, l’arrêt de l’investissement public et privé, le report des taxes et impôts, conduiront à une contraction importante du PIB de la zone en dessous de 4% si la crise ne s’étale que sur le premier semestre, avancent les économistes de Bloomfield. Qui préviennent : la situation pourrait être plus contraignante si elle perdurait après cette période. « La capacité de mobilisation des ressources annoncées par certains Etats pour faire face à la crise sanitaire et accompagner le secteur privé sera cruciale. Les investissements des entreprises du secteur privé vont être stoppés afin d’avoir une meilleure visibilité sur l’évolution de la situation. Le risque de faillite est relativement important à cause de l’arrêt brutal de l’activité dans certains secteurs et particulièrement pour les PME/PMI qui ne sauront pas ajuster leur fonctionnement dans cette situation ». Pour les entreprises ayant des factures avec l’Etat, l’accumulation des arriérés constituera une épée de Damoclès, anticipe l’étude. La crise sanitaire pourrait soulever la question de la capacité de stockage des produits agricoles dans un contexte de prix bas et de faiblesse de la demande. « Il apparaît important dans un tel contexte pour les Etats, d’envisager des stratégies pour ne pas fragiliser davantage un secteur agricole qui concentre l’essentiel de la main d’œuvre dans la plupart des pays de la zone. Certains Etats ont déjà initié des plans de soutien à l’économie afin de mitiger l’impact de la pandémie. L’efficacité sur la durée, les différentes mesures prises, bien que louables, pourrait être remises en cause. En effet, le contexte actuel est marqué par un ralentissement/arrêt de l’activité des entreprises. Par conséquent, le report du paiement de taxes et impôts ne pourrait être une solution durable et soutenable pour le secteur privé ». Pour preuve, à échéance, ajoutent les économistes, (trois mois en ce qui concerne la Côte d’Ivoire), les entreprises, déjà en difficulté devront faire face à un cumul de différentes charges dues et qui avaient été reportées.

Pour Bloomfield, le risque social n’est pas négligeable. Une analyse qui se rapproche de celle polémique d’un institut français de stratégie abondamment relayé ces derniers jours par les médias. « La pandémie du Covid 19 met en exergue les faiblesses du système de santé des pays de l’UEMOA face à une urgence sanitaire de cette ampleur. Au-delà du système sanitaire, elle vient rappeler les nombreux déficits en infrastructures socioéconomiques de base. Ainsi, cette crise sanitaire pourrait fragiliser davantage un environnement social relativement précaire, exacerbant les besoins des populations et la précarité de certains ménages avec une hausse du chômage en perspective. A cela s’ajoute la crise sécuritaire et humanitaire dans certains pays de la zone (Burkina Faso, Mali) ». D’où cette exhortation des auteurs : « Il apparait urgent pour les autorités nationales de faire preuve de transparence, de bonne gouvernance et de fermeté dans la gestion de la crise, et particulièrement des fonds alloués à cette fin afin, premièrement de rassurer la population, et deuxièmement de maintenir leur confiance en l ’action gouvernementale ».

Une remise en cause des modèles de développement des pays africains est en jeu

Les différents canaux de transmissions des conséquences de la crise sanitaire actuelle rappellent les nombreuses failles des économies africaines et particulièrement de la zone UEMOA : entre autres, la forte concentration des produits d’exportation sur les matières premières à faibles valeur ajoutée, la faible diversification de l’économie, l’étroitesse de la capacité financière des Etats, la faiblesse des infrastructures, etc. poursuit le rapport. Qui recommande : « C’est l’occasion donnée aux Etats africains de repenser leur modèle de développement. Au niveau mondial, les pays développés procéderont à une relocalisation de certaines industries afin de réduire leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Les Etats pourraient se replier sur eux même. Il apparait alors nécessaire pour les pays africains de renforcer la coopération et l’intégration régionale en réorganisant leurs économies. La capacité des Etats africains à formuler les politiques économiques pour booster les économies, sera très importante pour assurer la croissance et améliorer le quotidien des populations ».

Valentin Mbougueng


Le 04/04/20 à 19:35
modifié 04/04/20 à 19:35