Comité international de la Croix-Rouge/Patricia Danzi: «Nous n’avons pas de problème d’accès aux prisonniers»

Patricia Danzi, directrice des Opérations pour l’Afrique du Comité international de la Croix-Rouge. (BOSSON HONORE)
Patricia Danzi, directrice des Opérations pour l’Afrique du Comité international de la Croix-Rouge. (BOSSON HONORE)
Patricia Danzi, directrice des Opérations pour l’Afrique du Comité international de la Croix-Rouge. (BOSSON HONORE)

Comité international de la Croix-Rouge/Patricia Danzi: «Nous n’avons pas de problème d’accès aux prisonniers»

Le 28/01/20 à 11:40
modifié 28/01/20 à 11:40
La directrice des Opérations pour l’Afrique a séjourné à Abidjan du 18 au 20 janvier. Elle fait le point sur ses activités.
Pour avoir vécu une crise post-électorale en 2011, les Ivoiriens ont encore peur, à l’approche des élections d’octobre 2020. Vous connaissez le pays, quels commentaires pouvez-vous faire ?

Le Comité international de la Croix-Rouge est présent en Côte d’Ivoire depuis des décennies. Le peuple ivoirien a vécu de nombreuses situations difficiles dans le passé. Il s’en souvient et ne voudra plus de cela. Il faut que les gens se souviennent, et mettent tout en œuvre pour que ces crises ne se répètent pas.

Justement, quelles sont les actions que vous menez en Côte d’Ivoire dans ce sens?

Actuellement, nous menons une action régionale à partir d’Abidjan. La Côte d’Ivoire couvre plusieurs pays. Nous travaillons dans notre Centre Logistique du CICR basé à Marcory, à côté du collège Voltaire, afin de soutenir les actions dans la région. Ce centre réceptionne et expédie chaque jour entre 10 et 15 tonnes de matériel d’urgence pour une quinzaine de pays de la région. C’est un instrument que nous venons de mettre en place, et pour lequel nous sommes en discussion avec les autorités, pour mieux servir encore les pays voisins. Il s’agit d’un centre très important qui a plus de responsabilité au niveau continental, et nous espérons qu’il pourra devenir encore plus important. Car tout dépend de ce que nous allons négocier avec les autorités.

C’est une plateforme en quelque sorte...

Oui ! D’Abidjan, nous pouvons travailler avec la Banque africaine de développement qui est présente dans toute l’Afrique, et qui pourrait aider à changer beaucoup de choses sur le continent pour le bien-être des populations. Nous travaillons beaucoup sur l’amélioration des conditions de vie des prisonniers en Côte d’Ivoire avec l’accord des autorités que nous soutenons aussi sur le plan judiciaire.

Vous avez aussi pour mission de visiter les prisons ; quelle est la réalité en Côte d’Ivoire ?

Le travail que nous faisons dans les prisons est le même partout dans le monde. Nous avons un accord avec les autorités pour la visite des prisons. C’est assez sensible. C’est la preuve que les autorités ivoiriennes nous font confiance. Mais en retour, nous voyons les améliorations que nous pourrons apporter au système pénitentiaire. Nous sommes dans une situation de dialogue. Nous n’avons pas de problème concernant l’accès aux prisonniers.

Quelle est votre vision concernant les élections de 2020 en Côte d’Ivoire?

Notre nature, c’est de nous préparer quand il y a une élection, n’importe où dans le monde. Nous avons eu une réunion avec la Croix-Rouge ivoirienne, nous travaillons toujours avec la société nationale, pour prévenir, même si tout va bien.

Le mandat qui vous a été donné en 1949 par les États, à travers 4 conventions de Genève, vous permet d’agir indépendamment des gouvernements, et de venir en aide de manière impartiale aux personnes qui ont besoin de protection et d’assistance. Mais l’on vous accuse souvent de partialité...

C’est quand nous sommes accusés que nous faisons un bon travail, quand les uns disent : « Vous travaillez seulement pour les autres ». Mais ce qui nous guide, c’est le besoin des gens. C’est là l’impartialité et l’indépendance. Nous allons là où les vulnérabilités sont plus grandes.

Vous venez d’une mission au Mali et au Niger, dans la période du 13 au 18 janvier. Quelle est la réalité dans ces pays ?

Nous étions dans les régions de Gao, Mopti et Agadès avant de venir à Abidjan. La région du Sahel est une région dans laquelle nous opérons depuis très longtemps. Ce sont des populations que nous connaissons et qui nous connaissent aussi. Ce que nous observons, c’est une dégradation de la situation des communautés. La vulnérabilité qui augmente presque tous les jours. On parle aussi de déplacements liés à la violence des conflits. Mais aussi des chocs liés au climat. Ce sont des endroits où on peut voir l’impact d’une violence, une crise qui dure, depuis très longtemps.

Au Burkina Faso, 560.000 personnes déplacées ont fui leurs foyers. Au Mali, ils sont 200.000 et 139.000 réfugiés, pour ne citer que ceux-là. Dans une situation aussi dramatique, quelles dispositions prenez-vous pour sécuriser la population ?

Nous avons énormément de déplacés internes dans la région. Au Burkina Faso, en un an seulement, on parle de centaine de milliers de déplacés. Cela est dramatique, pas seulement pour les déplacés, mais aussi parce que les infrastructures ne sont pas adaptées à accueillir autant de monde. Il se pose alors des problèmes d’accès à l’eau, aux soins de santé, à l’éducation dans les petites villes comme dans les grandes deviennent différents. Nous ne sommes pas seuls sur le terrain. Nous, nous apportons une réponse humanitaire pour certains de ces gens-là. Passée la première urgence, il faudra travailler avec d’autres acteurs, qui sont plutôt là pour les systèmes d’eau, pour aider les communautés et les municipalités. Cela va ensemble avec le travail que nous faisons avec les forces armées. La police, les acteurs armés dans toute la région.

Quelle est la raison principale de ces déplacements?

Ce sont les attaques. Mais aussi le manque de respect du droit international humanitaire qui interdit la violence contre les civils. Nous faisons en sorte que les gens qui portent les armes aient une meilleure connaissance de leurs obligations envers ces personnes.

Là, vous faites allusion à l’action des terroristes, des Djihadistes ?

C’est l’action de tout acteur armé. La connaissance de ce droit international humanitaire est importante pour tous ceux qui portent des armes. Pour nous, c’est important de travailler avec tous les acteurs. Nous sommes une organisation qui, lorsqu’elle commence à travailler dans un État, demande aux autorités nationales de pouvoir opérer, d’avoir un accord de siège que nous signons, très rapidement. Nous faisons comprendre aux autorités que nous travaillons avec tout le monde. Cela veut dire que nous voulons parler avec tous les porte-voix. Nous voulons aller partout où la population est dans une situation de vulnérabilité. Ce qui nous motive, ce sont les besoins des populations. C’est très difficile dans plusieurs zones de la région du Sahel, mais si nous n’arrivons pas à garder ouvert cet espace opérationnel, nous allons perdre la confiance de la population qui compte sur les organisations comme la nôtre pour voir un changement s’opérer dans leur vie quotidienne.

Dans les régions que vous avez visitées, la Croix-Rouge a-t-elle eu chaque fois les moyens de mener ses actions ?

Les besoins sont beaucoup plus grands que nos moyens. Nous avons un avantage dans chaque pays. La présence de la Croix-Rouge : au Mali, au Niger, en Côte d’Ivoire. C’est le cas pour tous les pays. Évidemment, les volontaires de ces Croix-Rouges entrent dans les communautés. Quand nous, en tant qu’organisations internationales, nous ne pouvons plus accéder à un lieu, nous pouvons toujours compter sur les volontaires restés dans les communautés pour faire une différence. Nous avons toujours privilégié cette proximité avec les communautés.

Quel est l’impact de la fragmentation des conflits dans le Sahel et ses conséquences ?

La fragmentation des conflits, les acteurs plus nombreux, qui portent des armes, ce n’est jamais une bonne nouvelle pour les communautés. Quand il y a plus d’acteurs, il y a plus de problèmes, les conflits sont plus longs. Les gens sont de moins en moins préparés et les services de base de l’État sont de plus en plus sous pression. Nous, humanitaires, sommes souvent appelés à nous substituer aux services de base d’un État, là où il ne peut plus arriver.

Les conséquences des conflits sont aussi économiques. Nous avons parlé avec des gens qui avaient un petit Business qu’ils voulaient exporter, au Mali, au Niger et vis-versa, malheureusement les routes sont bloquées et dangereuses, certaines frontières également. Ce qui fait qu’au niveau économique, rien ne marche. Les gens ont moins de liquidité. Cela se voit aussi dans les structures étatiques, quand on parle de l’hôpital de Gao, au Nord du Niger, le directeur de l’hôpital nous dit : « L’approvisionnement en médicaments est difficile parce que la route est dangereuse ». Plus les conflits durent, plus il sera difficile de ramener le pays à une situation qui était déjà très compliquée, avant la crise.

Dans ces cas-là, il y a certes une nécessité de développer des synergies entre l’aide humanitaire et la coopération au développement. Mais en le faisant, l’Afrique ne se retrouve-t-elle pas dans une situation de dépendance ?

La dépendance, la pire, c’est la dépendance de l’aide humanitaire. Les gens n’en veulent pas. Vous et moi, nous ne voudrions jamais dépendre de quelqu’un qui va nous amener de la nourriture. Ce n’est pas digne. Cette dépendance est la pire. Nous, acteurs humanitaires, sommes souvent appelés à fournir de l’aide parce que les premières nécessités ne sont pas couvertes. Par ailleurs, les populations n’ont pas toujours les mêmes besoins. On se déplace, parce qu’on a besoin d’habits, parce qu’on est parti de chez soi sans rien prendre. Ailleurs, les besoins exprimés sont : l’eau potable ou la nourriture. Mais tout de suite après, les besoins changent. Certains ont besoin d’un emploi, ils veulent prendre soin de leur famille et pour la dignité humaine, se prendre en charge. Ces besoins-là, d’autres acteurs humanitaires doivent aider à les couvrir. Certaines populations ont besoin de sécurité pour mener leurs activités, exporter leurs produits, etc.

Le centre logistique du CICR à Abidjan réceptionne et expédie chaque jour entre 10 et 15 tonnes de matériel d’urgence pour une quinzaine de pays de la région. (HONORÉ BOSSON)
Le centre logistique du CICR à Abidjan réceptionne et expédie chaque jour entre 10 et 15 tonnes de matériel d’urgence pour une quinzaine de pays de la région. (HONORÉ BOSSON)



Vous avez aussi parlé de la pression sur les structures étatiques...

Il s’agit de celles qu’occasionne l’absence de la première nécessité : l’eau et la santé. A moyen terme, nous pouvons réparer les conduits d’eau, mais à long terme, ce sont les ingénieurs de l’État, c’est aussi le ministère de la Santé qui devrait, pour les hôpitaux, amener ce qui est nécessaire pour la prise en charge des malades.

Le gouvernement entreprend aussi des campagnes de vaccination de bétail. Pour soutenir ces campagnes, nous amenons les agents du gouvernement à vacciner le cheptel. Parce que cela est très important pour la résilience de certaines communautés. Nous menons cette action avec les personnes qui peuvent nous aider. A long terme, il faut voir aussi comment les acteurs au développement peuvent s’engager davantage. Quand on est dans une situation de violence pour plusieurs décennies, les investisseurs s’en vont. Ce qui fait que les populations sont abandonnées à l’aide humanitaire. Dans ces cas-là, il est important que d’autres acteurs puissent se joindre à la réponse du mouvement Croix-Rouge et Croissant-Rouge.

Au lieu de jouer tout le temps aux pompiers, ne pouvez-vous pas mener des actions préventives pour que les conflits ne se répandent pas dans les régions ?

Nous faisons tout un travail avec les forces armées, que nous appelons de la prévention. Nous leur faisons connaître les règles de guerre, les règles du droit international humanitaire qu’ils ont obligation de respecter. C’est, entre autres : épargner les civils, bien traiter les prisonniers, etc. C’est un aspect de la prévention. Ce que nous apportons en termes de prévention est difficile à mesurer, mais nous le faisons dans toute la région depuis plusieurs années.

Au sujet de la prévention, il est aussi important après un choc d’encadrer les communautés, pour qu’elles aient la capacité d’être mieux préparées au prochain choc. Souvent, nous voyons que les crises durent avec des pics. Quand il y a des accalmies, les populations peuvent aller à la maison puis, il y a encore des phases de crises. Nous les exhortons pour qu’elles y soient préparées... On ne peut pas prévenir la souffrance de manière totale, c’est impossible.

Avec le poste que vous occupez, quelle stratégie pensez-vous que l’Afrique doit mettre en place pour déployer sa propre sécurité ?

Il faut que tous ceux qui portent des armes aient une bonne formation dans chacun des pays. Ils doivent être bien rémunérés et régulièrement. Ce sera une bonne base pour que les gens se sentent en sécurité. Qu’ils n’aient pas peur de leur police et de leur armée. Je trouve que c’est un élément de stabilité qui donne confiance. C’est un premier pas. Beaucoup de crises que nous observons sont liées au fait que les accords de paix n’ont pas été respectés ainsi que la démobilisation, la réintégration n’a pas marché. Les fonds ne sont pas arrivés à temps, et l’espoir de certains des combattants démobilisés s’est volatilisé parce qu’il n’y avait pas tellement d’alternative. Autre chose concernant la sécurité et qui dépasse la réponse humanitaire, qui est notable, il faut donner une option à toute la jeunesse. La jeunesse réclame des emplois. Pour cela, les investisseurs devraient avoir le goût du risque dans les différents pays pour qu’il y ait une alternative.

L’Afrique connait des crises humanitaires sans pareilles ces derniers temps. Quels en sont les impacts réels ?

Il y a eu des crises et des souffrances au Burkina qu’il faudra suivre, comme dans bien d’autres pays. Mais, j’aime aussi parler des endroits où ça va mieux. En Afrique australe ces dernières années, il y a eu une amélioration. Les crises qu’on avait connues, il y a quelques dizaines d’années dans la région, en Sierra Leone, au Liberia qui ont pris fin. Il y a eu des améliorations. Il ne faut pas non plus oublier que les populations se sont mises ensemble dans certains des contextes pour éviter des crises. Il y a de l’espoir aussi, avec un prix Nobel en Éthiopie, malgré le fait qu’il y a encore beaucoup de déplacements et de problèmes. Concernant les crises, nous comptons beaucoup sur la solidarité africaine. La solidarité des communautés, des familles. J’ai vu dans beaucoup d’endroits des familles ouvrir leurs maisons à des gens qu’elles ne connaissaient même pas. Tous les continents de la planète devraient prendre l’Afrique en exemple. Mais on ne peut pas se contenter de cela...Quand il y a un accord de paix quelque part, il faut le prendre comme une opportunité, et mettre tous les moyens en œuvre pour que cela aboutisse. Parce que ce n’est que le début de nombreux efforts à faire encore pour une meilleure prise en charge des populations sinistrées



Le 28/01/20 à 11:40
modifié 28/01/20 à 11:40