La culture de l’injure et de la violence

Des jeunes dispersés par les forces de l'ordre lors d'une marche. (DR)
Des jeunes dispersés par les forces de l'ordre lors d'une marche. (DR)
Des jeunes dispersés par les forces de l'ordre lors d'une marche. (DR)

La culture de l’injure et de la violence

Le 21/01/20 à 11:25
modifié 21/01/20 à 11:25
En 1990, ce fut comme si une digue s’était rompue. Les étudiants, les élèves et même les écoliers, aiguillonnés par les dirigeants de l’opposition naissante, arpentaient les rues de nos villes en insultant le Chef de l’État. La digue rompue a été celle de nos valeurs. Ces valeurs qui, comme celles du confucianisme qui a forgé l’âme des pays asiatiques que nous admirons tant aujourd’hui, prescrivaient le respect des parents, des aînés, des dirigeants, des enseignants.

Le Chef de l’État d’alors, Félix Houphouët-Boigny, était le chef vénéré, le bâtisseur de la nation ivoirienne, le père, le grand-père, voire l’arrière-grand-père de ceux qui le vilipendaient et le traînaient dans la boue. Une fois la digue rompue, le torrent de haine, d’irrespect, d’impolitesse, d’irrévérence et de violence déferla dans tous les compartiments de la société ivoirienne. Des journaux se créèrent de part et d’autre pour insulter l’adversaire devenu un ennemi à abattre.

La violence s’infiltra dans l’école et l’on vit des étudiants tuer de sang-froid un de leurs camarades, un certain Thierry Zébié. On humilia des parents, des enseignants, des chefs traditionnels, des chefs religieux. C’était à qui insulterait le mieux. Certains pouvoirs réagirent en emprisonnant quelques impertinents, mais cela ne changea rien à l’affaire. D’autant plus que ces dirigeants soutenaient eux-mêmes des journaux chargés d’insulter les adversaires.

Certains journaux se spécialisèrent carrément dans l’injure publique et ceux qui en avaient les moyens louaient leurs services. Toutes les valeurs qui fondent notre civilisation furent foulées aux pieds et notre société se trouva sens dessus-dessous. Depuis lors, la violence n’a plus quitté la sphère de la politique, allant crescendo. Ce furent donc les insultes verbales et écrites, puis les meurtres dans les rues et sur les campus, les policiers qui abattaient sans sommation ceux qu’ils décrétaient souverainement comme bandits. Et il y eut le coup d’État de décembre 1999, suivi d’exécutions sommaires, dont personne ne jugea nécessaire d’en parler.

Ainsi, pendant la transition militaire de Robert Guéi, on décida de tuer tous ceux que l’on considérait comme des loubards, sans autre forme de procès, et on le fit. Et personne ne demanda de comptes à personne pour cela. Il y eut par la suite, en 2002, la rébellion, avec ses crimes que l’on passa par pertes et profits. Qui se souvient des gendarmes froidement exécutés, des personnes que l’on avait enfermées dans des containers exposés au soleil jusqu’à ce que mort s’ensuive ? Il y eut aussi du côté du pouvoir légal, les escadrons de la mort qui abattirent des dizaines de personnes sans autre forme de procès.

Et ces militants de l’opposition qui furent tués chez eux en mars 2004 parce qu’on les accusait d’avoir voulu aller marcher contre le pouvoir, alors que l’on ne leur avait même pas laissé le temps de sortir dans la rue, qui s’en souvient encore ? L’Onu parla de plus d’une centaine de morts. Pertes et profits également. Et pendant la crise post-électorale, l’on assista à des crimes d’une rare cruauté, avec des personnes brûlées vives dans leurs voitures, entre autres.

À force de fermer les yeux, la violence et les injures se sont banalisées aujourd’hui. Au point qu’une élue du peuple peut proférer des grossièretés à l’encontre d’une autre femme sur internet sans aucune gêne. Et sans subir la moindre réprimande. Nous en sommes maintenant au stade où des politiciens engagent des mercenaires grassement payés pour insulter les autorités de leur pays. Certains applaudissent, parce que les insultes font désormais partie de notre culture politique, et ceux-là trouvent normal que les dirigeants qu’ils n’aiment pas soient insultés. Ils ne réalisent pas que lorsqu’on insulte ceux qui les représentent, ce sont eux-mêmes qui sont insultés. Mais de quel droit un individu qui, en réalité, n’a ni éducation, ni moralité, se permettrait-il d’insulter des personnes qui nous incarnent, qui nous représentent, que nous les ayons votés ou non ?

Pourquoi les Ivoiriens devraient-ils accepter que des individus dont l’impolitesse cache leur absence de culture et d’éthique crachent sur eux et sur leur pays ? Nous avons touché le fond. Devons-nous accepter de descendre plus bas ? Si nous continuons de fermer les yeux et de laisser faire, c’est notre société, notre nation que nous mettons en danger de mort. Aucune société humaine ne s’est bâtie sur l’absence de valeurs morales, sur le laisser-aller, l’irrespect et l’immoralité érigés en normes.

Tirons les leçons de notre histoire récente et ressaisissons-nous. Il s’agit désormais pour les Ivoiriens de faire savoir aux commanditaires de ces mercenaires qu’ils refusent de les suivre sur cette voie et qu’ils exigent d’être respectés, surtout si ces commanditaires ambitionnent de les diriger un jour. Il est grand temps pour nous d’arrêter la descente aux enfers et de commencer à nous réarmer moralement.

La naissance de « l’Ivoirien nouveau » passe par la réappropriation de nos valeurs dont l’une des plus importantes est le respect de l’autre, de l’aîné, du dirigeant, mais aussi l’exigence d’être respectés. Surtout par des va-nu-pieds.


Le 21/01/20 à 11:25
modifié 21/01/20 à 11:25