Insuffisance rénale infantile : Quand la douleur des enfants devient un calvaire pour leurs parents

Des enfants atteints d’insuffisance rénale chronique, en salle d’hémodialyse. (Sébastien Kouassi)
Des enfants atteints d’insuffisance rénale chronique, en salle d’hémodialyse. (Sébastien Kouassi)
Des enfants atteints d’insuffisance rénale chronique, en salle d’hémodialyse. (Sébastien Kouassi)

Insuffisance rénale infantile : Quand la douleur des enfants devient un calvaire pour leurs parents

Le 16/12/19 à 19:36
modifié 16/12/19 à 19:36
L’insuffisance rénale ne sévissait jusque-là que chez les adultes. Du moins, c’est ce que l’on croyait. Aujourd’hui, cette grave pathologie fait une intrusion chez les enfants. La souffrance de ces êtres fragiles est aussi grande que celle de leurs parents. Au Chu de Yopougon les cas parlent d’eux-mêmes.
Barakissa Boky a la trentaine à peine, mais on lui donnerait facilement 40 ans, voire plus. Boubou froissé, cheveux en bataille, elle a l’air préoccupé. L’ordonnance de son fils en main, elle erre comme une âme en peine dans les couloirs de l’unité de néphrologie pédiatrique au chu de Yopougon. C’est le seul centre public à prendre en charge les maladies rénales en Afrique de l’Ouest. Ce matin, Barakissa accompagne G.b., son fils âgé de 3 ans pour une séance de dialyse, parce que souffrant d’une insuffisance rénale chronique.

Le rein de l’enfant, cet organe dont la fonction essentielle est d’éliminer les déchets toxiques de l’organisme, ne répond plus lui-même. « Je suis fatiguée. Nous habitons Bingerville, le père de mon enfant est vigile, et moi je suis commerçante. Depuis quatre mois, je fréquente cet établissement sanitaire pour la dialyse de mon fils. Quand j’ai les moyens, mon mari et moi venons pour le traitement, mais lorsqu’on en manque ; l’enfant reste à la maison sans soins ». Il y a de quoi être « fatigué ». Non seulement, la fatigue de Barakissa Boky est morale, psychologique mais aussi financière. Car une seule séance de dialyse pour enfant coûte 80 000 F Cfa.

Pour un enfant qui doit subir trois séances par semaine, il faut débourser 240 000 Fcfa, soit 960 000 F Cfa par mois. Sur une année, le vigile et sa commerçante de femme devront débourser la bagatelle de 11.520.000 de F Cfa. Une mer à boire. Démoralisant, déprimant et appauvrissant !

Le Pr Laurence Adonis, chef de l’unité néphrologique pédiatrique au Chu de Yopougon. (Sylla Yacouba)
Le Pr Laurence Adonis, chef de l’unité néphrologique pédiatrique au Chu de Yopougon. (Sylla Yacouba)



Le Pr Laurence Adonis, chef de l’unité néphrologique pédiatrique, fait savoir que Barakissa n’est pas la seule qui vit ce calvaire. Plusieurs parents, selon le spécialiste, faute de moyens, ne parviennent pas à assurer un traitement régulier à leurs enfants. « Sur trente enfants qui arrivent en pédiatrie, dix peuvent avoir les moyens et le plus souvent un seul en dispose pour continuer sa dialyse », dit-elle. Le cas de Christine Elloh, dont l’enfant est logé à la chambre 280, en est une éloquente illustration.

Après six séances de dialyse, elle n’a pu poursuivre les soins. Faute de moyens, l’enfant de six ans a rechuté. Difficultés à uriner, ventre ballonné, pieds enflés, coma de deux jours..., de quoi donner des sueurs froides à sa mère dont le concubin, sans emploi, ne disposait pas de ressources nécessaires pour continuer le traitement. « On ne peut pas avoir un enfant souffrant de cette maladie dont le traitement est très coûteux et garder sa sérénité. Nous avons dû abandonner et aujourd’hui, nous continuons de demander de l’aide pour le traitement », dit-elle.

Le Dr Diarrassouba Gnenefoly, néphro-pédiatre. (Sylla Yacouba)
Le Dr Diarrassouba Gnenefoly, néphro-pédiatre. (Sylla Yacouba)



Depuis décembre 2017, Christine Elloh vit un désarroi total depuis qu’elle a découvert que sa fille souffre de cette maladie. « Parler d’insuffisance rénale chez l’adulte est un choc, et il l’est davantage chez un enfant. J’avoue que je suis désemparée face à la souffrance de ma fille. Je suis obligée de passer des coups de fil par-ci par-là pour demander de l’aide. Le cathéter, (Ndlr un tube creux de plastique souple que le médecin place dans une veine provisoirement ou de façon permanente, pour réaliser une dialyse) coûte à lui seul 100 000 F Cfa, on a dû faire plus de deux mois sans faire de dialyse ».

Poursuivant, elle fait savoir que ce coût exorbitant pousse certains voire beaucoup de parents, notamment les plus démunis, à se tourner vers les médecins traditionnels au lieu de faire suivre leur progéniture à l’unité de néphrologie pédiatrique. « Dans le traitement de la maladie de ma fille, nous avions eu recours aussi à un tradipraticien. L’état de santé de ma fille s’est aggravé. Quand nous sommes arrivés au Chu, la maladie était très avancée ».

Le cri du cœur des médecins et des parents

En Côte d’ivoire, la dialyse des enfants n’est pas subventionnée par l’état. Elle coûte 80 000 Fcfa contre 1 750 F Cfa pour les adultes. C’est donc un euphémisme de dire que cela est difficilement supportable pour les parents. « Le traitement de l’insuffisance rénale chronique est long et décourageant pour eux. En ce qui concerne les cas chroniques, le meilleur traitement c’est la transplantation rénale, sinon c’est la dialyse à vie », explique le Pr Adonis.

Barakissa Boky, parent d'enfant malade du rein. (Sébastien Kouassi)
Barakissa Boky, parent d'enfant malade du rein. (Sébastien Kouassi)



Si la transplantation chez l’adulte se fait en Côte d’Ivoire, ce n’est pas encore le cas pour les enfants. Lorsqu’ils sont confrontés à cette situation, les parents nantis les transfèrent soit Afrique du Sud, en Tunisie, en France, aux Etats-Unis ou ailleurs. « Une greffe rénale en pédiatrie, en France, coûte environ 250 millions de F Cfa. Ce qui n’est pas à la portée de tous les parents. Nous demandons aux autorités sanitaires ivoiriennes de subventionner la dialyse des enfants au même titre que les adultes », plaide-t-elle.

L’unité de néphrologie du Chu de Yopougon dispose d’équipements adéquats pour l’hémodialyse des enfants. Le seul souci, de l’avis du Dr Diarrassouba Gnenefoly, nephro-pédiatre, reste le coût élevé de la séance d’hémodialyse qui n’est pas à la portée des parents. Conséquence, de nombreux décès enregistrés dont 90 % ont lieu à la maison à cause de l’abandon du traitement. « Nous plaidons encore parce que l’unité, seul centre dans la sous-région, n’a que quatre lits d’hospitalisation et deux postes de dialyse. C’est les enfants, tandis que pour les adultes, une centaine de postes existe », insiste Dr Diarrassouba Gnenefoly.

Kangabega Brigitte, parent d’enfant malade du rein. (Sébastien Kouassi)
Kangabega Brigitte, parent d’enfant malade du rein. (Sébastien Kouassi)



Du côté des parents, le regard est aussi tourné vers les autorités pour la prise en charge de leurs enfants. Madame Elloh est formelle : « C’est une situation délicate que nous vivons, vivement que l’État fasse quelque chose, sinon c’est vraiment difficile », soutient-elle, avant de fondre en larmes.

Des partenaires s’engagent

La situation de ces parents démunis face au mal pernicieux de leurs progénitures ne laisse personne indifférent. Ong, opérateurs économiques, entreprises citoyennes, tous sont engagés à sauver ces enfants insuffisants rénaux. Ainsi, un club d’hommes d’affaires musulmans (Chamci) subventionne gracieusement la séance de dialyse dont les frais sont passés à 10 000 F Cfa par séance à échéance, (mars 2019), le traitement reviendra au coût initial, c’est-à-dire 80 000 F Cfa. Des partenaires, comme la fondation orange Côte d’Ivoire, ont mis 49 millions de FCfa à la disposition de l’association des parents d’enfants malades du rein (Apemar) pour l’achat des appareils de laboratoire de l’unité néphrologique et la réfection des salles.

Par ailleurs, depuis un an, une compagnie d’assurance de la place paie toute la consultation des enfants. Toujours soucieux de s’occuper de ces enfants, les Zinzins du bonheur, une Ong, a offert un microscope au laboratoire du service de néphrologie pédiatrique du Chu de Yopougon. « C’est un ouf de soulagement pour les parents des malades ; nous continuons de demander de l’aide aux partenaires ». dit le Pr Adonis Laurence.

Les maladies rénales se guérissent, mais....

Les maladies rénales chez l’enfant sont guérissables, au dire des spécialistes. Ils sont généralement de trois ordres ; à savoir, le syndrome néphrotique, l’insuffisance rénale aigue et chronique. En Côte d’Ivoire, le syndrome néphrotique est la première cause des consultations en néphrologie (49%) chez les enfants âgés de 5 à 10 ans.

Plus de 80% en guérissent si le dépistage et le traitement sont initiés très tôt. « C’est une maladie du rein. La conséquence est que des protéines vont se retrouver dans les urines alors que normalement ils ne doivent pas y être. L’enfant développe des œdèmes qui commencent par le visage suivi des pieds, du ventre et même un volume anormal des testicules chez les tout-petits. Néanmoins si les parents lui font faire un dépistage très tôt, l’enfant en guérit complètement », explique le Pr Laurence Adonis.

La spécialiste exhorte donc les parents à plus de vigilance, afin de prévenir l’aggravation ou les complications de cette maladie, car mal traitée, il y a des risques de complication, les reins cessent de fonctionner et on arrive à l’insuffisance rénale. « L’insuffisance rénale aiguë peut être due à un paludisme qui s’attaque au rein ou à l’automédication. S’il est pris en charge rapidement, le rein reprend toute sa fonction. Dans le cas contraire, il peut devenir une insuffisance rénale chronique. On parle d’insuffisance rénale chronique, lorsque le rein s’arrête de fonctionner. À ce stade, il faut des séances de dialyse ou procéder à une greffe rénale », ajoute le Dr Diarrassouba Gnenefoly.

87 dialysés enregistrés

L’unité de néphrologie pédiatrique a enregistré 87 dialysés depuis sa création en 2008 ; ce qui, selon la première responsable, ne reflète pas la réalité des insuffisants rénaux du pays. « Les gens ne connaissent pas notre activité, c’est pourquoi nous faisons de la sensibilisation et la prévention tant à Abidjan qu’à l’intérieur du pays ». Avec son équipe, ce centre public a conduit des activités de prévention de Yamoussoukro où 3 600 élèves, soit 11% de la population ont été dépistés en 2013, puis dans un établissement de Cocody, plus de 1 072 enfants, se sont fait dépister en 2015. Les actions ne s’arrêtent pas. Des pédiatres sont aussi formés afin de pouvoir détecter tôt les signes des maladies rénales. A noter que l’unité de néphrologie pédiatrique a enregistré 419 de patients hospitalisés depuis sa création, dont l’âge varie de 2 à 15 ans et a procédé à 6000 consultations.

Encadré 1

La conviction des enfants

Grâce J., une malade atteinte d’un syndrome néphrotique. (DR)
Grâce J., une malade atteinte d’un syndrome néphrotique. (DR)



Grâce Jemima, 13 ans, souffre d’un syndrome néphrotique. En classe de 5e dans un lycée à Koumassi, cette gamine garde toujours la foi et est même convaincue qu’elle guérira de cette maladie et retrouvera le chemin de l’école. « Maman, je sais que je vais survivre, si le Seigneur le veut. Certes, je n’arrive pas à marcher, mais Dieu me fera marcher à nouveau », prophétise–t-elle. Pathétique.

Sur son lit d’hospitalisation, la petite Grâce ne désespère pas qu’elle vaincra cette maladie, le tout puissant aidant. Sa souffrance a commencé en 2013, ses parents pensaient au départ avoir affaire à un paludisme. Grâce Jemima a dû, malgré elle, abandonner l’école pendant deux ans depuis que ses parents ont découvert qu’elle avait des enflures aux pieds, au visage, au ventre, une urine mousseuse. Après un séjour au Chu de Cocody, et un jour de coma, elle s’est retrouvée à l’unité de néphrologie pédiatrique du Chu de Yopougon.

« Quand les médecins m’ont dit qu’elle avait cette maladie rénale, j’ai beaucoup pleuré. Elle a fait plusieurs rechutes, tantôt elle va bien, tantôt elle va mal. Quand ça va mieux, elle reprend le chemin de l’école où elle est la risée de tous à cause de son surpoids », a expliqué Mme Kangabega, sa génitrice, qui s’inquiète de plus en plus de la santé de sa fille qui se détériore. « Nous ignorons encore la cause de cette maladie. La situation est difficile, et tend vers l’insuffisance rénale. C’est inquiétant », fait savoir la dame en sanglots, de plus en plus sceptique. Et d’ajouter « La première fois qu’elle a fait un coma, à son réveil, le médecin nous a prescrit un médicament estimé à 125 000 F Cfa. Mon mari et moi n’avions que 25 mille F Cfa. Il nous a fallu demander de l’aide ».

Depuis neuf ans, la vie de Grâce est entre rechute et hospitalisation. « Nous demandons une prise en charge à long terme des enfants malades du rein aux autorités ivoiriennes. Notre fille s’accroche malgré son état de santé. Je pense que c’est par pure grâce qu’elle survit », affirme-t-elle.

Encadré 2

Plaidoyer pour la construction d’un hôpital dédié

Kouassi Bernard, président de l’Association des parents d’enfants malades du rein (Apemar). (Véronique Dadié)
Kouassi Bernard, président de l’Association des parents d’enfants malades du rein (Apemar). (Véronique Dadié)



« Notre ambition est d’avoir un centre dédié plus grand, un hôpital pour le traitement des enfants malades rénaux. Le nombre de patients augmente. Nous travaillons à la construction d’un hôpital des malades du rein. En attendant, nous souhaitons que le centre soit étoffé en termes de personnels, avec plus de lits ». C’est le plaidoyer de Kouassi Bernard, président de l’association des parents des enfants malades du rein (Apemar), une association née de la nécessité pour les parents d’unir leurs forces pour y faire face ; surtout pour une prise en charge des malades et en finir avec les difficultés liées au suivi des enfants.

« Les enfants sont parfois soumis à des régimes alimentaires difficiles pour leur âge, notamment le régime sans sel. Certains parents sont désespérés ; ils estiment que c’est la mort certaine pour leur progéniture. Il fallait que nous puissions aider les médecins pour qu’une attention particulière soit portée sur la maladie rénale de l’enfant », a-t-il souligné.

Cette association qui reconnaît que le coût du traitement est très élevé s’attelle à rechercher des partenariats pour l’acquisition de matériels de dialyse, des composantes nécessaires pour faire les examens, des dons en nature, des médicaments. « Nous appelons les autorités à se pencher sur le cas de ces enfants. Nous souhaitons qu’elles nous viennent en aide à travers des dons de médicaments, de matériels ».



Le 16/12/19 à 19:36
modifié 16/12/19 à 19:36