Aïcha Bah Diallo : «Les pays africains doivent investir davantage dans des systèmes statistiques»

Aïcha Bah Diallo, porte-parole de la Fondation Mo Ibrahim. (DR)
Aïcha Bah Diallo, porte-parole de la Fondation Mo Ibrahim. (DR)
Aïcha Bah Diallo, porte-parole de la Fondation Mo Ibrahim. (DR)

Aïcha Bah Diallo : «Les pays africains doivent investir davantage dans des systèmes statistiques»

Le 11/12/19 à 09:34
modifié 11/12/19 à 09:34
Dans cet entretien, l’ancienne ministre guinéenne de l’Éducation nationale et actuelle porte-parole de la Fondation Mo Ibrahim commente les principales tendances qui se dégagent du dernier Rapport publié par son institution.
Le dernier Rapport de votre institution souligne « l’urgence de combler les lacunes au niveau des capacités statistiques nationales ». Qu’en est-il ?
Les pays doivent investir davantage dans des systèmes statistiques pour la simulation et la mise en œuvre des différentes politiques. Et les gouvernements doivent créer une coordination et mettre toutes les parties prenantes autour de la table pour l’aider à la production de ces données statistiques. Il s’agit notamment de la société civile et des groupes socio-professionnels... Tout le monde... C’est donc la responsabilité des gouvernants, puisqu’ils doivent rendre compte des progrès qui ont été accomplis, chaque année, au niveau des objectifs du développement durable (Odd), des agendas 2030 et 2063 de l’Union africaine (Ua).

De quel instrument disposez-vous pour faire une telle étude ?

En termes de collection de données, l’indicateur de l’Indice Ibrahim de la gouvernance (Iiag) le plus adapté est celui mesurant les capacités statistiques des gouvernements. Cet indicateur mesure la capacité des systèmes de statistiques en termes de périodicité, ponctualité, désagrégation, ainsi que l’indépendance des bureaux nationaux des statistiques. Et nous pouvons noter que de fortes progressions ont été enregistrées en Côte d’Ivoire, ainsi qu’au Cameroun, au Soudan, en Ouganda et en Gambie depuis 2004.

Quelles sont les principales tendances qui se dégagent du Rapport ?

L’Inventaire des données ouvertes (Odin) de l’Open Data Watch examine la couverture et le niveau d’ouverture des statistiques. En 2018, seuls quatre pays africains ont satisfait +80% des critères de l’ODIN en matière de couverture de données, dans la catégorie Population & Statistiques essentielles : Nigeria (90%), Seychelles (87.5%), Afrique du Sud (80%) et Sierra Leone (80%). Or, huit pays africains n’ont satisfait aucun des critères en matière de couverture de données : Angola, Côte d'Ivoire, Gabon, Madagascar, Sao-Tomé-Et-Principe, Somalie, Soudan et Swaziland.

Un exemple concret de ce qui manque véritablement dans la production de statistiques...

Il y a des pays qui n’enregistrent pas les enfants à la naissance et d’autres qui n’enregistrent pas les décès aussi. Et c’est cela qui est préoccupant. Il va falloir que nos pays le fassent. Et vous les médias, au niveau du continent, devriez lancer un appel à nos pays pour ce faire.

Pourquoi insister maintenant sur cette situation alors qu’elle existe depuis longtemps ?

Pouvez-vous planifier un programme et le mettre en œuvre sans données statistiques fiables? Vous ne pouvez pas. Sans données correctes, précises... C’est pour cela que le Rapport 2019 qui a été publié le 15 octobre se focalise justement sur ce déficit et met en exergue l’urgence de progrès pour combler ces lacunes au niveau des capacités statistiques nationales. Compte tenu justement de la rapidité croissante de la démocratie qui est enregistrée sur le continent. Et en 2030, nous serons 1,66 milliard d’habitants en Afrique... C’est pourquoi, le président de la Fondation Mo Ibrahim a indiqué qu’il faut se pencher sur ce problème.

Vous semblez dire que le Rapport 2019 peut servir de boussole aux gouvernements...

Nous voulons insister sur le fait que pour pouvoir répondre de façon correcte aux Odd et à l’Agenda 2063, il faut se pencher sur la production et la mise à disposition de données fiables. Et le Rapport 2019 est un instrument extraordinaire. Il contient toutes les données. Vous les hommes et femmes de médias devriez le lire, le publier et le vulgariser, pour que les populations sachent ce qu’il y a eu comme progrès accompli et ce qui reste à faire. C’est le plus important. C’est l’état des lieux que tout le monde doit savoir.

Quelles sont les principales recommandations formulées par le Rapport ?

Le Rapport insiste sur l’indépendance des instituts chargés de la production et de la diffusion des données statistiques. Mais aussi qu’ils bénéficient de financements adéquats de sorte qu’ils puissent produire régulièrement des statistiques désagrégées, afin que le pays puisse les utiliser dans la programmation de leurs différentes politiques. Par exemple, on sait qu’il y a une forte progression en Côte d’Ivoire sur cette question depuis 2004.

Que pensez-vous de la situation en Côte d’Ivoire en ce qui concerne l’enregistrement des naissances et des décès ?

Lors d’une rencontre avec la ministre de l’Éducation nationale, Kandia Camara, qui venait d’être nommée, nous avions attiré son attention sur le fait que les enfants qui n’ont pas d’acte de naissance ne pouvaient pas passer le concours d’entrée au collège. Elle a promis de corriger cela. Mieux, elle a indiqué que les enfants dans cette situation allaient être autorisés à passer le concours et qu’après, des jugements supplétifs leur seraient délivrés. En outre, elle a promis de se pencher sur l’enregistrement des naissances dans le système éducatif. Je peux attester cela, parce que j’en suis témoin.

Avez-vous des réactions de gouvernements par rapport à cette question ?

En tout cas, je sais qu’au niveau de la Côte d’Ivoire, une Ong et un opérateur de téléphonie collaborent pour faciliter le processus d’enregistrement des naissances notamment.


Le 11/12/19 à 09:34
modifié 11/12/19 à 09:34