S. Orounla : “L’image de l’Afrique construite par d’autres nous enfonce dans le sous-développement”

Alain Sourou Orounla, ministre de la Communication et de la Poste du Bénin. (DR)
Alain Sourou Orounla, ministre de la Communication et de la Poste du Bénin. (DR)
Alain Sourou Orounla, ministre de la Communication et de la Poste du Bénin. (DR)

S. Orounla : “L’image de l’Afrique construite par d’autres nous enfonce dans le sous-développement”

Le ministre de la Communication et de la Poste du Bénin parle des enjeux de la 11e édition des Universités africaines de communication qui s’est tenue à Ouagadougou du 25 au 27 novembre sous le thème « Communication et géopolitique : construire une autre image de l’Afrique ».
Monsieur le ministre que vous inspire le thème de l’édition 2019 des Uaco ?

Avant de dire ce que m’inspire la thématique, je voudrais d’abord m’exprimer sur l’initiative qui est pertinente, opportune et révolutionnaire. Je suis très heureux que cette initiative marque le bilan de ces universités qui sont à leur 11e édition. C’est avec beaucoup de bonheur et d’honneur que la délégation du Bénin a pris part à ses universités. Pour revenir au thème, nous avons compris qu’il n’est plus nécessaire de pleurer sur le lait versé. L’image de l’Afrique que d’autres ont construit pour nous nous enfonce dans le sous-développement. Aujourd’hui, les Africains ont compris la nécessité d’en bâtir une autre. Il faut bâtir notre vraie image par la plume, l’image et le son, en nous appropriant notre droit à l’image qui est aussi le droit de s’exposer avec fierté et parcimonie.

Comment doit-on s’approprier ce droit à l’image?

Pour moi, cette appropriation passe par la valorisation de qui nous sommes tout en étant authentiques, mais aussi dans la responsabilité de ce que nous devons choisir de montrer et de dire, afin d’inspirer le respect. C’est une démarche très pertinente qui appelle les professionnels des médias, mais également de la communication politique, mercatique à se former et à former les Africains sur ces différentes questions. C’est aussi savoir mettre un bémol à la liberté d’expression à laquelle tout le monde est attaché, pour s’engager dans cette responsabilisation de l’image de l’Afrique que nous voulons véhiculer à l’heure du numérique et des médias instantanés sur lesquels nul n’a le contrôle. C’est donc à ces réflexions que ces universités nous invitent.

Mettre un bémol à la liberté d’expression n’est-ce pas porter atteinte à cette liberté ?

L’image que nous avons aujourd’hui de l’Afrique n’est pas forcément le résultat de la dévalorisation des autres. Malheureusement, cela ressemble plus à de l’autoflagellation. Nous ne savons pas par quel mécanisme, mais la plupart de ceux qui vilipendent l’Afrique sont les Africains eux-mêmes. Cette attitude apparaît comme une difficulté d’acceptation de soi, de qui nous sommes. La politisation à outrance de toutes choses d’une certaine opposition se traduit dans les écrits et les images que l’on montre et qui, généralement, invitent leurs auteurs à risquer le dénigrement de soi, de leur propre pays et de l’Afrique pour servir des causes politiques, personnelles ou partisanes.

Cela peut donc expliquer l’appel au patriotisme qui a maintes fois été lancé lors de ces universités. Comment doit-on cerner ce patriotisme ?

Quand on parle de patriotisme, on exhorte les acteurs à travailler plus pour le rayonnement de leur pays, ce qui rejoint le patriotisme et pour l’Afrique, ce qui rejoint le panafricanisme, plutôt qu’à avoir un langage fielleux. Ce patriotisme est aussi un paramètre qu’il faut prendre en ligne de compte dans la démarche. De même qu’on parle de patriotisme économique, une préférence de ce qui vient de chez soi, il peut également avoir un patriotisme, et même c’est plus urgent, dans le secteur de la presse et des médias.

Le Pr Charles Moumouni de l’université Laval Québec, Canada, qui a fait une communication sur l’image et la réputation de l’Afrique dans le monde, a esquissé trois axes de communication, à savoir notre géographie, notre économie et notre histoire. Pensez-vous que c’est une bonne piste ?

Le tournant de son intervention, c’est de rappeler que la démographie que l’on nous reproche en Afrique est, au contraire,une source de richesse. Les Occidentaux l’ont toujours présentée comme un facteur de ralentissement du développement. Or, en réalité, c’est bien un capital humain. Vous voyez comment la communication peut transformer un potentiel en une faiblesse ? Nous disons: vive la démocratie et vive la démographie parce qu’elle permettra d’enrichir ce continent si vaste, capable de tous nous accueillir et nous nourrir. Notre histoire : Afrique berceau de l’humanité, de la civilisation, de la science, des mathématiques et de l’écriture est aussi belle que nos potentialités économiques avec nos sous-sols riches, notre climat adapté et notre végétation tout aussi riche et dense. Il y a sûrement d’autres pistes qui méritent réflexion, en ajoutant peut-être la culture et l’art, mais nous pensons que ces éléments de valorisation sont importants.

Quelle est la part des pouvoirs publics dans cette démarche de reconstruction de l’image de l’Afrique ?

Il y a une part importante que les gouvernants doivent prendre. Je voudrais vous faire remarquer ici les initiatives que le Président Patrice Talon du Bénin a pris dans ce sens. Dans une attitude de souveraineté et de fierté africaines, il a pris un certain nombre de mesures qui vont dans le sens de l’affirmation de notre africanité. C’est notre pays qui a commencé, par exemple, à revendiquer le retour aux sources du patrimoine culturel béninois dérobé et conservé dans les musées européens. C’est encore le Président Talon qui a été à l’origine de l’initiative des sécurités internes. Dès que nous avons des problèmes sécuritaires en Afrique, nous tendons la main aux autres. Il a cependant décidé qu’aujourd’hui, le Bénin a les moyens de financer sa propre sécurité, sans l’aide des Occidentaux, mais en collaboration avec les pays frères d’Afrique. La troisième illustration que je voudrais apporter est la position du Bénin sur le décrochage du franc Cfa qui est une forme d’assujettissement. Or, la monnaie est supposée être un attribut de souveraineté. Ce sont là des prises de position audacieuses qui concourent à construire une image positive de l’Afrique qui n’est plus celle qui mendie, qui n’a pas de dignité. Mais une Afrique qui revendique ce qui lui revient de droit et ce, dans le respect mutuel des parties concernées. Fort heureusement, cette vision est bien partagée par la nouvelle génération de Chefs d’État d’Afrique et plus particulièrement d’Afrique de l’Ouest. Je crois donc que les politiques prennent leur part de responsabilités pour désormais présenter l’Afrique comme un continent digne et qui gagne. Ils sont donc prêts à accompagner le mouvement, mais cela incombe, avant tout, aux hommes de médias qui véhiculent l’image de l’Afrique.

Les hommes de médias certes, mais il va aussi falloir que les hommes politiques refusent de décrédibiliser les médias africains en ne communiquant que dans ceux européens...

C’est vrai que poser en ces termes, ça embarrasse. Mais le but de s’exprimer dans les médias, c’est de toucher le grand nombre et aujourd’hui, vous conviendrez avec moi que les chaînes européennes en Afrique ont beaucoup plus d’auditeurs que celles africaines. Les Chefs d’État se retrouvent face à cette nécessité de communiquer dans ces chaînes pour toucher le grand nombre. Je pense plutôt qu’il faut voir cette situation comme un défi pour nous Africains, de sorte à mettre en œuvre des politiques de création de médias forts et puissants qui iront à la conquête du monde avec des informations fiables, traitées le plus sérieusement possible et ainsi avoir un grand nombre d’auditeurs. Les responsables politiques n’auront alors plus d’autre choix que de s’adresser aux médias africains.

N’est-ce pas le rôle des dirigeants politiques de créer les conditions pour faire des médias publics une puissance ?

L’État fait ce qu’il peut en fonction des moyens disponibles pour soutenir les médias publics. C’est ensemble, journalistes, hommes de médias et dirigeants, qu’il faut œuvrer pour atteindre cet objectif.

Pour revenir aux Ucao, ne pensez-vous pas que c’est encore un rendez-vous qui va voir, comme bien d’autres ailleurs, ses résolutions rangées dans les tiroirs des gouvernants ?

D’abord, il faut dire que prendre l’initiative, c’est déjà vouloir changer les choses. Ensuite, le fait que le Président Roch Marc Christian Kaboré du Faso ait accepté de parrainer ces universités montre l’importance du rendez-vous. Nous avons eu droit à la présence du chef du gouvernement, Christophe Dabiré, sans oublier le fait que nos Présidents respectifs ont accepté que nous, ministres de la Communication de nos différents pays, participions a l’évènement. Tout cela en dit long sur les enjeux et la réussite de ce rendez-vous qui est d’une importance capitale pour nos dirigeants qui attendent beaucoup des résolutions et recommandations des Uaco 2019.

En marge de ces universités, vous avez reçu en audience le Groupement des éditeurs de presse publique d’Afrique de l’Ouest (Geppao). Quelles sont vos impressions ?

Toute initiative de groupement ou de regroupement de l’espace Cedeao est à encourager. J’ai eu l’occasion d’en entendre parler par un des membres du Geppao, le directeur général en charge de la gestion de la presse publique au Bénin ici présent. Je viens d’avoir un entretien avec la délégation du Geppao et je suis très enthousiaste car cela fera rayonner davantage la thématique de la construction d’une autre image de l’Afrique. Nous allons porter le message aux collègues non encore impliqués. Avec ceux déjà engagés, nous échangerons afin d’apporter au mieux notre soutien au Geppao.