Le dindon de la future farce

Le 03/12/19 à 08:21
modifié 03/12/19 à 08:21

Le dindon de la future farce

Monsieur Henri Konan Bédié, ancien président de la République de décembre 1993 à décembre 1999 et actuel président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) a célébré ses 85 ans il y a quelque temps. Nous lui souhaitons encore de nombreux autres joyeux anniversaires.
A l’occasion de cet anniversaire, un quotidien qui lui est très proche l’a présenté comme l’espoir de toute la Côte d’Ivoire. Effectivement pour certains de ses thuriféraires, il devrait être candidat à l’élection présidentielle de 2020, et ils sont convaincus qu’il l’emportera les doigts dans le nez, tant sa cote de popularité est immense et tant il est doué en politique.

J’ignore ce qu’il en est réellement de la cote de popularité de M. Bédié et de ses capacités d’homme politique, mais j’ose croire que la perspective de sa candidature est juste un jeu politique pour entretenir le suspense, en attendant le bon moment pour dévoiler le vrai candidat du Pdci. Parce que, n’en déplaise aux supporters de M. Bédié, à 86 ans l’année prochaine, lorsque l’on a quitté le pouvoir depuis vingt ans, surtout dans les conditions que l’on sait, on ne peut plus diriger un pays et le conduire à bon port.

Soyons raisonnables de temps en temps. Et la grande sagesse, celle que l’on devrait avoir atteint à cet âge-là, est de savoir, le moment venu, s’éclipser pour laisser la place à une personne d’une autre génération et plus en phase avec la population qui est en majorité composée de jeunes de moins de trente ans. Il est toujours difficile d’être après avoir été. Et même en politique aussi, la retraite existe. La grande sagesse, celle que l’on attend d’un homme comme M. Bédié, surtout avec le parcours qui est le sien, est aussi de ne pas mettre de l’huile sur le feu, lorsque des communautés s’affrontent dans notre pays.

Etait-ce vraiment sage de la part du Pdci, pour parler des affrontements de Béoumi, de catégoriser les Ivoiriens entre autochtones et allogènes ? Nous savons tous très bien où ce genre de discours nous a conduits. Les militants du Pdci qui ne sont pas Ebrié, à commencer par leur président, se sentent-ils étrangers lorsqu’ils sont à Abidjan ?

Le président du Pdci considère-t-il comme allogènes les populations de sa ville de Daoukro qui ne sont pas Baoulé Nambè ? Que dit-il des personnes issues de sa communauté et qui vivent dans d’autres régions de notre pays, notamment à l’ouest et au sud-ouest ? Doit-on les traiter là-bas d’étrangers ? Nous avons vécu en 2010-2011 une crise très grave qui a failli emporter notre pays. Nous sommes en train de nous en remettre péniblement.

En maints endroits, nos populations se regardent encore en chiens de faïence et à la vérité, les problèmes qui ont poussé certaines communautés à se battre avec d’autres sont loin d’avoir été réglés. Nous devons tous y travailler patiemment, mais résolument. C’est pour cela qu’il faut éviter les mots qui sont de nature à réveiller des vieux démons. Surtout lorsque l’on est un parti qui a dirigé la Côte d’Ivoire et que d’une certaine manière, l’on est fortement comptable de ce qui est arrivé de désastreux à ce pays.

Depuis qu’il a rompu avec M. Alassane Ouattara, M. Bédié ne se cache plus pour faire la cour à M. Laurent Gbagbo. Cet homme qui était le prototype du monstre criminel et dont la place était dans une prison dans la terminologie du patron du Pdci, est devenu aujourd’hui le frère injustement emprisonné et que l’on a hâte de voir revenir au pays. Mieux, il est le frère avec qui l’on rêve d’aller reconquérir le pouvoir. C’est ainsi qu’un journal très proche du Pdci, le même qui avait présenté Bédié comme l’espoir de tout le pays, a titré « le duo Bédié-Gbagbo pour 2020... », après que le président du Pdci a reçu une délégation du Front populaire ivoirien (Fpi) de Laurent Gbagbo dans son fief de Daoukro.

Entre nous, est-ce faire preuve de sagesse que de vouloir s’allier à Gbagbo pour espérer reconquérir le pouvoir à 86 ans ? Depuis Houphouët-Boigny jusqu’à ce jour, le combat de Laurent Gbagbo a toujours été de faire disparaître le Pdci. Et pour Bédié lui-même, jusqu’à ces derniers mois, le Fpi était tout simplement une abomination. Rappelons que c’est Gbagbo qui avait fait tuer une centaine de personnes (selon les chiffres de l’Onuci) en 2004, parce qu’elles voulaient manifester pour que l’accord de Linas-Marcoussis soit appliqué.

Et c’est lui qui, en 2010, a refusé de reconnaître sa défaite, conduisant ainsi le pays dans une crise qui a causé la mort de 3000 personnes. Et il a suffi que M. Ouattara n’accorde pas son soutien à l’ambition de M. Bédié de revenir lui-même au pouvoir pour que ce dernier se jette dans les bras de Gbagbo, dans l’espoir que celui-ci lui fera la courte échelle pour accéder au fauteuil présidentiel. L’histoire nous dira très rapidement qui sera le dindon de cette farce annoncée.

Mais pour de nombreux militants du vieux parti, tourner le dos au Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) pour se jeter dans les bras du boulanger de Mama ressemble beaucoup à ce que l’on appelle lâcher la proie pour l’ombre. Et dans un tel contexte, traiter les cadres du Pdci qui décident de rejoindre le Rhdp d’opportunistes ou de traitres, c’est faire preuve d’une grande cécité politique.

Pourquoi diantre veut-on, au Pdci, que des militants et hauts cadres se sacrifient pour satisfaire les lubies d’un vieil homme qui ne pense qu’à ses seuls intérêts et à ceux de sa seule progéniture ? Pourquoi Bédié est-il en train de s’allier à Gbagbo, après avoir rompu avec Ouattara, si ce n’est pour ses intérêts immédiats, pour satisfaire son ego ? Et l’on voudrait jeter la pierre à quelqu’un qui penserait lui aussi à ses propres intérêts ?

Et Guillaume Soro dans tout cela ? L’ancien Premier ministre, ancien président de notre Assemblée nationale et toujours protégé de Bédié continue de découvrir son pays. Il vient ainsi d’apprendre qu’on vit bio au village, qu’à la nuit tombée, on y enseigne par des contes, que la préoccupation là-bas n’est pas l’argent, alors qu’à Abidjan, où il y a des embouteillages, on tue pour de l’argent et on vend son honneur et sa dignité pour des postes.

Je suppose que les banques et les richesses des zones dites Centre Nord Ouest (Cno) que les rebelles qu’a dirigés M. Soro pendant huit ans pillaient, c’était juste pour jouer à Robin des Bois, c’est-à-dire voler aux riches pour donner aux pauvres. Et lui-même, bien sûr, n’est intéressé par aucun poste, au point d’aller vendre sa dignité ou faire quoi que ce soit de mal pour l’avoir.